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La photographique

Elle n'était pas assise avec distinction et nonchalance. Non. Elle était posée. Posée comme lorsqu'on ne contrôle plus la totalité de son corps. Posée sur une de ces vieilles chaises de bureau en cuir brun défoncé. Et elle virevoltait sur le parquet et sur elle-même, tandis qu'il s'affairait à ouvrir leur énième bouteille de vin. Soudain elle vit, sur le rebord de la cheminée, désormais hors d'usage, un appareil photo argentique. Curieuse, touchée, comme le sont les passionnées, ses doigts la brûlaient, alors elle s'en est emparée. Et lorsque son œil s'est introduit dans la machine, elle a compris. Il s'agissait là d'un instant, ou plutôt d'un enchevêtrement d'instants parfaitement improbables et d'une légèreté peu commune. Il avait fallu peu de patience pour que tout ne s'accorde, simplement. Il souriait bêtement, alors qu'elle s'évertuait à faire la mise au point. Posant fièrement aux côtés du vin, il se foutait de sa maladresse, la faisait rire au point qu'elle ne puisse plus fournir un mouvement logique, ses mains hasardeuses sur le boîtier. Elle pensait alors avoir trouvé, mais elle n'osait pas. Avait-elle peur que tout ceci ne vienne à disparaître sous le flash ? Fatigué par l’inefficacité de sa camarade, il prit l'appareil. Défaite de toute peur de jugement, imparfaite, bourrée, mais submergée par la certitude d'être à l'endroit où elle devait être, elle s'est laissé faire. Mise au point rapide, pas de lumière, juste un déclic. Elle était dans la boîte.

Et là, au moment où elle marche dans la rue d’une autre ville, à des kilomètres et des années de cet instant, elle se dit qu'elle y est encore. Peut-être un peu flou, peut-être un peu moche, mais dans l'ombre, en silence, prêt à raconter ce qui leur était arrivé dans la vie pour être sur cette pellicule. Ivres d'un bonheur partagé.





texte Automne 2017

photo Juin 2021





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